À Québec, quand on cherche "la gauche", on trouve... les libertaires!

Plus tôt cette semaine j'ai répondu avec plaisir aux questions d'une journaliste du Devoir sur "la gauche à Québec". Ce matin, je lis le résultat dans le journal et je dois avouer que je suis un peu surpris. Parti à la recherche de "la gauche" de Québec, Isabelle Porter a trouvé... la gauche libertaire! En effet, sur 5 personnes citées dans l'article, on trouve 3 anarchistes (et là je ne parle même pas de Serge Roy, le candidat de QS, qui a un passé libertaire qu'à ma connaissance il ne renie pas). De plus, elle reprend essentiellement les grandes lignes de l'analyse portée par le collectif anarchiste La Nuit (NEFAC-Québec) depuis quelques temps.

Voici le texte en question :

Élections 2007 - Y a-t-il une gauche à Québec

Dans la capitale, la droite a réussi à être perçue comme le contestataire du système

Québec -- «Bonjour, je fais un reportage sur la gauche à Québec, pouvez-vous m'accorder une entrevue?» La réponse a plus d'une fois pris la forme d'un grand éclat de rire. Il faut dire qu'à l'heure de la montée de Mario Dumont et du mystère de Québec, la requête avait quelque chose d'inusité...

La montée de la droite est pour quelque chose dans la candidature de Serge Roy pour Québec solidaire (QS). Ancien président du Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ) et militant altermondialiste bien connu, il est, avec Amir Khadir et Françoise David, l'un des trois grands espoirs du parti dans ces élections. «J'ai voulu me lancer dans un parti de gauche pour que la voix de la gauche se fasse entendre», dit-il. Serge Roy se présente dans Taschereau, le seul comté péquiste à avoir survécu à la vague anti-PQ du dernier scrutin. «J'ai rejeté l'hypothèse qu'on pouvait faire ça par l'intermédiaire du Parti québécois. [...] Pour moi, c'est une perspective à long terme. Ça ne va pas se régler le 26 mars, mais il faut amorcer une stratégie pour faire reculer tout ça, en allant voir le monde sur le terrain, en discutant avec les gens, et la gauche n'a pas fait ça suffisamment dans le passé.»

Non seulement la gauche est attaquée, mais elle semble avoir perdu sa capacité de mobilisation. Depuis le Sommet des Amériques, la plus grosse manifestation à s'être tenue à Québec fut celle... des supporters de CHOI-FM. On aurait pu s'attendre à une forte mobilisation contre le projet de terminal méthanier de Rabaska, par exemple. Or les groupes d'opposants ne sont jamais parvenus à faire sortir le débat de la Rive-Sud. En 2005, la plus importante manifestation dans les rues de Québec a attiré à peine 300 personnes.

Situé en plein coeur de Taschereau, le comité populaire Saint-Jean-Baptiste a été de toutes les luttes sociales au centre-ville ces dernières années. Là aussi l'inquiétude est bien réelle. «On a un peu l'impression d'être une forteresse assiégée», constate avec humour son porte-parole, Nicolas Lefebvre-Legault. «J'aurais beau faire tout ce que je peux pour résister au courant de droite, ce n'est pas ici qu'elle se trouve. L'immense majorité des groupes populaires sont situés dans le centre-ville», lance-t-il à propos du vote des villes fusionnées qui sont devenues les banlieues de Québec. «À tous les niveaux, le pouvoir est obligé aujourd'hui de composer avec la périphérie.»

Enracinés dans le centre-ville, les mouvements de gauche doivent composer avec une dichotomie diablement efficace, alimentée durant des décennies par André Arthur et ses héritiers. D'un côté, un centre-ville qui penche à gauche, la longue administration de Jean-Paul L'Allier, des fonctionnaires soi-disant privilégiés, l'establishment, des artistes pour divertir tout ce beau monde, et des groupes sociaux. De l'autre, les banlieues, les «vrais» travailleurs, les amateurs de sport, les fameux exaspérés par le système séduits par la droite.

Dès lors, le défi de la gauche en est un de catégories. «Le problème, c'est que la gauche est associée au statu quo, et les élites politiques ne s'en rendent pas compte», poursuit Nicolas Lefebvre-Legault, un anarchiste convaincu. «La droite, traditionnellement, c'est l'élite, alors qu'ici, à Québec, la droite monte en se présentant comme contestataire du système.»

Un discours si efficace qu'il parvient même à conquérir... des fonctionnaires! «Je le sais que j'ai des membres qui vont voter pour l'ADQ», concède le président du Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ), Michel Sawyer. «Ce n'est pas qu'ils appuient les mesures d'abolition de postes, ils veulent surtout faire brasser la cage.» Beau paradoxe quand on sait que l'État est l'une des cibles préférées de Mario Dumont, qui capitalise sur les frustrations de la classe moyenne et des travailleurs précaires.

Même au centre-ville, l'ADQ est beaucoup plus populaire que Québec solidaire. Taschereau a beau être considéré comme le comté le plus à gauche de la région, à peine 3 % des électeurs ont voté pour l'Union des forces progressistes (l'ancêtre de QS) lors du dernier scrutin, contre 19 % pour l'ADQ. D'ailleurs, malgré les discours optimistes de ses collègues, on sent bien que Serge Roy ne croit pas en la possibilité d'une victoire. S'il espère prendre quelques votes aux péquistes déçus, voire aux adéquistes, il s'intéresse surtout aux 30 % d'abstentionnistes de 2003.

Simon Leclerc et Joseph Bergeron font partie de ces 30 % d'abstentionnistes, mais ils n'ont pas l'intention de voter pour Québec solidaire. «C'est beaucoup d'efforts pour trop peu de résultats», résume l'un d'eux. La démocratie représentative, ils n'y croient pas. Fondateurs du bar militant L'Agitée dans la Basse-Ville, les deux jeunes hommes appartiennent pourtant à cette nouvelle gauche révélée dans les rues de Québec durant le Sommet des Amériques. Mais le mouvement antimondialisation a perdu son côté rassembleur.

«Le problème, c'est l'incapacité de la gauche à récupérer le mécontentement des gens, lance Simon Leclerc. La droite crée des problèmes, les gens les subissent et ensuite ils se retournent contre la gauche pour se plaindre. L'usine déménage en Chine, le gars perd sa job et c'est la faute du syndicat. Pendant la saga d'Olymel, je lisais les éditoriaux et j'avais le goût de brailler.»

Son ami ajoute qu'à son avis les gens ne votent pas en fonction de la droite et de la gauche.

Un point de vue partagé par Michel Sawyer, du SFPQ. S'agit-il de voeux pieux? Une chose est certaine: certaines valeurs de la gauche, dont l'environnement, trouvent un certain écho au sein de la population.

Si le discours clairement à gauche de Québec solidaire rencontre de la résistance, celui du Parti vert fait des adeptes. Méconnus, peu couverts par les médias, les verts récoltent deux fois plus d'appuis (8 %) que QS (4 %), d'après un récent sondage CROP. Après tout, Québec recèle peut-être plus d'un mystère.

Par Isabelle Porter
Collaboratrice du Devoir