Scandale dans la gauche libertaire !

Ce soir, les camarades de l’émission féministe libertaire « Ainsi squattent-elles » organisent un show du 8 mars à l’AgitéE. Jusqu’ici tout va bien. Le « problème » c’est qu’elles ont voulu un party non-mixte. Ayayaye !

« On peut pas faire ça » a tranché le comité qui s’occupe des spectacles à l’AgitéE, « ce serait de la discrimination ! » Un peu surprises de la réaction de leurs camarades coopérants (!) –elles s’impliquent pas mal toutes activement à l’AgitéE—les anarcha-féministes ont proposées un compromis : pas de non-mixité stricte mais une invitation aux hommes de « s’abstenir ». Ceux qui y tiennent pourront entrer, moyenant un « cover charge » de 10$. Une sorte de « ladies night » à l’envers.

Ça aurait pu (du !) en rester là. Mais non ! Les commérages vont bon train. Le scandale est allé en s’amplifiant. Plusieurs militants ne l’ont pas pris. Un tel fait une scène à sa blonde. Un autre refuse tout net de diffuser l’annonce sur une liste électronique. Un autre engueule une organisatrice. Un autre dénonce un « événement sexiste ». Le plus triste c’est qu’ils sont tous politisés, progressistes et se disent, en plus, « anti-sexistes ».

Sont-ils choqués de voir leur accès aux copines, à la bière et à leur bar préféré leur être refusé ne serait-ce qu’un soir ? « Qu’est-ce qu’on va faire si on peut pas aller se saouler la gueule à l’AgitéE un jeudi soir » ? Houuuuu, l’angoisse ! « Les filles vont avoir du fun sans nous, c’est pas juste » ! Il paraît qu’ils sont même plusieurs à se promettre d’y aller. C’est quoi le but ? Être bien certain de leur casser le party et de ruiner la soirée de tout le monde ? Pourquoi ne pas organiser une manif tant qu’à y être !

Eh ! Oh ! Youhou ! C’est le 8 mars ! Réveillez-vous ! Pourriez pas prendre votre trou au moins une fois par année ? Pauvres mecs...


Défense de la non-mixité

Je suis de ceux qui pensent que le patriarcat affecte aussi les hommes. Je n’irais pas jusqu’à dire que les hommes aussi sont opprimés par le patriarcat (ce serait miniser l’oppression vécue spécifiquement par les femmes et les queers) mais ils sont très certainement aliénés. Il y a, c’est évident, des hommes et des femmes biologiques. Mais à cette dimension biologique se rajoute une dimension sociale et culturelle, la construction de genres stéréotypés, qui nient le caractère unique de chaque individu. Dans une perspective anarchiste, la socialisation en genres est la première aliénation qui rend possible toutes les autres. Il n’y aura pas d’émancipation complète sans destruction de la construction sociale que sont les genres et son remplacement par une socialisation produisant des individus uniques, autonomes, libres et égaux.

À mon humble avis, les hommes ont donc un intérêt réel dans la destruction du patriarcat et une place dans la lutte. Il peut et il doit y avoir une lutte mixte contre le patriarcat. Ceci dit, cela n’implique pas que la non-mixité est à bannir et n’a plus lieu d’être. Loin de là.

Qu’on le veuille ou non, il y a des choses qui ne se disent qu’en non-mixité. Il est utile de se regrouper en l’absence de l’autre sexe pour parler d’expériences spécifiques, se donner confiance et développer des stratégies de lutte. On aura beau dire, « c’est pas pareil » quand l’autre sexe n’est pas là. C’est plus facile de confronter certains comportements (notamment en vérifiant qu’on est pas fou ou folle et qu’il y a bien quelque chose qui ne tourne pas rond) et de « travailler sur soi ». C’est vrai pour les femmes mais ça l’est aussi pour les hommes (soit dit en passant).

« Ouai, c’est ben beau tout ça, mais là on parle d’un party »... Il y a tout d’abord un aspect symbolique et politique intéressant à faire un party féministe non-mixte un 8 mars (est-ce que j’ai vraiment besoin de vous faire un dessin ?). La lutte oui, mais la fête aussi ! Tout mouvement social a besoin de moments ludiques.

Mais il y a plus. En contexte mixte, le cul n’est jamais ben loin. Je n’ai aucune idée si ça fait partie des préoccupations des organisatrices du party mais c’est clair pour moi que les gars (les hétéro en tout cas) regardent pas les filles comme ils regardent les autres gars. Pourquoi pensez-vous qu’il y a des gyms non-mixte ? Dans un bar, avec l’alcool et tout, c’est pire. Les militants n’échappent pas à ça, surtout quand ils ont un verre dans le nez. Quand ils regardent les filles, ils ne voient pas que des camarades... Pas tout le temps, mais souvent, avouons-le, ils voient aussi une personne de l’autre sexe (une baise potentielle !), que ce soit conscient ou non. Je ne suis pas puritain, le jeu de séduction (conscient ou non) peut être ben correct. C’est pas ça, c’est juste qu’un party « pas de gars » c’est pas pareil. Pis je pense que c’est correct de vouloir vivre ça de temps en temps.

* * *

De quoi je me mêle ? Je sais qu’en écrivant ces lignes je me place dans une position délicate (« tchèque le mâle qui vient prendre la défense de ses dames »... il y a peut-être un peu de ça, personne ne m’a rien demandé !). Je suis dans un collectif non-mixte (et c’est pas un choix ! je suis donc sans doute en train de critiquer la paille dans l’œil du voisin sans voir la poutre que j’ai dans la face). J’assume mes contradictions (et mon sermon !). C’est juste que la situation me fait chier. Depuis deux ou trois semaines, j’entend des affaires qui me font dresser les cheveux sur la tête. J’attendais que quelqu’un intervienne politiquement mais personne ne l’a fait. Me voici donc avec mes gros sabots.



Solidairement



Nicolas